Brahim Asloum : "La boxe française est en train de mourir"

LE MONDE SPORT ET FORME | 18.11.2012 à 19h13 |Propos recueillis par Propos recueillis par Mustapha Kessous

Trois médailles aux Jeux de Pékin, aucune à Londres : trois mois après cet échec pour la boxe française, les choses ont-elles changé ?

Je pensais qu'après les Jeux, il allait y avoir une remise en cause au sein de la boxe, comme celle qu'a pu faire l'escrime. Que le ministère des sports allait convoquer les dirigeants. Rien. On a laissé des boxeurs brisés, seuls. Le directeur technique national est parti en vacances au lendemain de la fin des Jeux. Quand la CGT veut défendre ses intérêts, il y a du monde dans la rue. Je suis prêt à donner de mon temps, mais je ne suis pas un magicien. La boxe française est en train de mourir. Et notre fédération est un véritable sac de noeuds. Rien ne va plus.

Et pour quelle raison selon vous ?

On doit cette situation chaotique au président de la fédération, Humbert Furgoni. Son comportement n'est pas acceptable : tout passe par lui. On le surnomme "Dieu" et ce n'est pas un hasard. Ça fait une dizaine d'années qu'il est président, et qu'a-t-il fait en France ? Rien. En revanche, ses intérêts personnels ont bien progressé : il a été élu vice-président de l'Association internationale de boxe amateur (AIBA) et président de la Confédération européenne de boxe.

Il n'y a rien d'anormal à voir un dirigeant chercher à se faire élire au sein d'instances internationales pour imposer la voix de la France...

Mais j'aurais aimé qu'il puisse imposer la voix de la France. Aux Jeux de Pékin, Alexis Vastine s'est fait voler. A Londres, aussi. Personne n'a vu Furgoni lorsque la France a porté réclamation. Mais bats-toi, tape du poing sur la table, montre que tu es vice-président de l'AIBA, défends-le ! Non, rien. Le lendemain de sa défaite, Furgoni lui a envoyé un texto pour lui dire qu'il était désolé. Mais ce sont les ados qui envoient un SMS pour larguer une fille. C'est un homme qui n'aime pas ses boxeurs ni la boxe.

Quand vous dites "je suis prêt à donner de mon temps", est-ce une manière d'annoncer que vous êtes candidat à l'élection à la présidence de la fédération, prévue en février ?

Il y a quelques jours encore, je vous aurais dit : "Oui, j'ai très envie de me présenter !" Mais aujourd'hui, je m'interroge encore : un homme seul ne peut pas changer le système. Ce qui est sûr, c'est que j'appelle Humbert Furgoni à la démission, je demande qu'on reporte l'élection et j'implore le ministère des sports de se pencher sur la boxe. C'est un appel à l'aide.

En quoi le ministère des sports peut-il arranger la situation ?

La fédération dépend du ministère. La boxe est un sport malade. Le seul capable de nous acheter des vaccins, c'est l'Etat. Aujourd'hui, le ministère doit prendre ses responsabilités : qu'il fasse un audit de la fédération, qu'il jette un coup d'oeil sur les comptes... On ne peut pas tomber plus bas : il faut tout revoir. Si le ministère n'agit pas, personne n'agira, et même si je suis élu président je ne pourrai pas faire toutes les réformes.

Pourquoi tant de pessimisme ?

Parce qu'il n'y a plus de compétence au sein des dirigeants de la boxe. Si je me lance à la course au poste de président, je veux m'entourer de gens compétents et sentir l'enthousiasme du milieu de la boxe pour relancer notre sport. Or tous les anciens boxeurs ou promoteurs qui connaissent parfaitement le milieu ont été mis de côté. On a critiqué les frères Acariès, mais depuis qu'ils ne sont plus là, a-t-on des champions ? Je suis pour un changement radical du système, pour une plus grande transparence, pour que l'on organise des états généraux de la boxe. Si on est prêt au changement, je serai prêt à me présenter. La boxe est un sport de grandes gueules, il est temps de l'ouvrir.

Pourquoi parler maintenant ?

Parce que j'ai honte. J'ai honte pour la boxe, honte pour nos boxeurs. Mais je veux rendre à la boxe ce qu'elle m'a donné, je me bats pour les jeunes qui veulent s'en sortir. A Londres, l'entraîneur de Tony Yoka n'avait même pas une place. Nous n'avons pas invité d'écoles. Pour la première fois, il y avait un tournoi de boxe féminin : le président ne s'est même pas battu pour faire inviter une de nos filles.

Ce n'est plus une critique contre le président de la Fédération de boxe mais un réquisitoire...

Non, c'est juste un constat alarmant. Je peux parler, je suis libre, mais pas les boxeurs. Regardez Vastine, il l'a ouvert et, conséquence, il s'entraîne comme il peut, il ne touche plus un sou de la fédération, il n'a plus de nouvelles de son président... C'est l'image de la boxe amateur qui en prend un coup !

A Londres, les boxeurs français n'ont-ils pas surtout été victimes de la corruption ?

Il faut arrêter d'être parano. Dès qu'il y a jugement humain, il y a litige. Je veux bien parler de l'arbitrage à l'international, mais n'y a-t-il pas de vols chez nous lors des championnats de France ? Qu'on fasse le ménage chez nous d'abord, qu'on réorganise un championnat audacieux, et après on pourra parler. Je sais d'où je viens, je connais la boxe pro ; si on ne fait pas notre propre révolution, nous allons disparaître.

Pourtant, la fédération vous a aidé quand vous avez lancé, en 2010, votre franchise de boxe, Paris United, un championnat mondial...

Ce n'est pas vrai. J'ai perdu plusieurs centaines de milliers d'euros, de l'argent que j'ai gagné en suant sur le ring. J'ai dû arrêter Paris United il y a quelques semaines car j'ai été mis en liquidation judiciaire. Cet été, François Hollande m'a demandé de l'inviter à une soirée du championnat et, malheureusement, l'aventure s'est terminée. La fédération m'a coupé l'herbe sous le pied, elle n'a pas respecté ses engagements. Humbert Furgoni a tout fait pour que je me plante, et moi j'ai menti pendant deux ans en remerciant toutes les semaines la fédération de son aide.

Votre équipe a pourtant été championne du monde et d'Europe...

J'ai eu jusqu'à 900 000 euros de charges et pas un sou de la fédération. Pas même une lettre de félicitations quand nous avons été champions du monde. Pourtant, avec cette formule, on a attiré les jeunes et fait revenir le public. On parle de corruption, mais j'ai gagné deux titres avec Paris United sans payer qui que ce soit. Nous sommes la preuve que la France a une grande culture de la boxe. Quand Canal+ a rompu son contrat avec moi, il y a trois ans, elle a tué ma carrière et la boxe en France. Je suis en procès avec la chaîne [en première instance, le tribunal de commerce a donné raison au boxeur, mais le procès en appel est prévu le 12 décembre].

Que faites-vous aujourd'hui ?

Je vais ouvrir le 22 novembre une salle de sport haut de gamme à Paris et je vais jouer le premier rôle dans un film réalisé par Jacques Ouaniche, celui du boxeur Victor Young Perez. C'est l'histoire d'un boxeur juif tunisien, champion du monde à 20 ans, qui sera déporté à Auschwitz. Je me reconnais beaucoup en lui. Il est mort à 33 ans, mon âge, mais je vais essayer de rester en vie...

Propos recueillis par Mustapha Kessous

Parcours

1979 Naissance à Bourgouin-Jallieu (Isère).

1994 Débute la boxe.

2000 Champion olympique des poids mi-mouche à Sidney.

2003 Champion d'Europe des poids mouche.

2007 Champion du monde WBA des poids mi-mouche.

2009 Il prend sa retraite faute de diffuseurs.

2010 Il monte la franchise de boxe Paris United.

2011 Paris United est sacrée championne du monde.

2012 Il demande la démission de Humbert Furgoni, président de la Fédération française de boxe.

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